Si l’on m’avait dit, il y a deux décennies, que je travaillerais un jour dans les pompes funèbres, je ne l’aurais pas cru. Comme pour ma sœur Françoise, la mort s’est invitée très tôt dans ma vie. J’avais 17 ans quand notre père est décédé et peu de temps après, le « croque-mort » est devenu mon beau-frère. La mort fait partie de notre existence. Nous la côtoyons depuis presque toujours et les récits de Gérard ont souvent émaillé les repas de famille. Mais pour moi, pendant longtemps, c’était clair : leur histoire n’était pas la mienne.
Je me suis donc lancée dans de longues études de médecine vétérinaire, puis dans la recherche sur les pathologies des animaux sauvages et exotiques, ce qui m’a amenée à occuper divers postes – comme curatrice au TierPark de Berne et cheffe de département à l’Université de la même ville.
Et puis, le 31 mai 2010, mon beau-frère m’a proposé de venir donner un coup de main dans la firme familiale. Je ne m’y attendais pas du tout et n’y avais jamais pensé. Mais j’ai dit oui. Au début, je partageais mon temps entre les pompes funèbres et mes activités d’ostéopathie animale. Et petit à petit, je me suis laissé prendre et j’ai senti que ma place était ici.
La première fois où je suis allée préparer un corps avec Raphaël et Gérard, je me suis tenue en arrière, je n’osais pas y toucher. Et puis ça s’est fait naturellement. On regarde, on apprend. Je parle à mes morts, savez-vous ? Je ne les vois pas comme des personnes décédées, mais comme des personnes endormies, qui se laissent bichonner, maquiller, habiller… Et quand la famille trouve son proche beau, c’est une grande récompense.
Bien sûr, il y a des moments très difficiles. Les accidents, les personnes décédées de mort violente, les jeunes mamans, les gens passés sous un train. Et les enfants… Ça, c’est très dur, comme une autre dimension. Tu le prends dans tes bras, tu es portée par quelque chose ressemblant à de l’amour universel. Tu l’aimes tellement fort, ce gamin dont tu dois t’occuper. C’est indescriptible. Alors tu le pomponnes, tu prends soin de lui. Tu es la dernière personne qui le touchera, qui lui caressera les cheveux, qui l’habillera. Et quand ses parents arrivent, tu te fais toute petite… et les soutiens si tu vois qu’ils vacillent.
Et puis à d’autres moments, c’est une petite grand-mère. Tu rencontres la famille qui est sereine, paisible, car c’est dans l’ordre des choses. Ou le mari vient voir sa femme, la trouve belle et te dit merci. Ça, ça te porte…
J’aime le contact avec les gens, avec les familles. Je « sens » la bonne place à occuper, devant ou plutôt en coulisses. Notre travail est à la fois d’être empathiques, à l’écoute et jamais intrusifs. Rester à notre juste place. Accueillir la tristesse, la douleur de la perte. Donner un verre d’eau, être là. Simplement.
La cérémonie n’a lieu qu’une fois, tout doit donc être parfait. C’est un rite capital. Il y a la musique, les fleurs, mais aussi des éléments apparemment anodins comme le parcage, l’orthographe des faire-part, une virgule qui change le sens, une personne assise à la mauvaise place, un geste au mauvais moment. Ces petites choses peuvent tout changer, pour la famille, pour les proches. C’est à nous de faire attention à tous ces détails.
Nous sommes bienveillants et impliqués, ce qui crée avec les familles des liens différents. Nous sommes totalement à l’écoute, aussi bien des personnes à l’aide sociale que de la « haute société ». Nous nous occupons des défunts de la même façon, avec soin et amour. Chez nous, même les personnes dans un cercueil fermé ont été prises en charge avec amour.